« Pour une Algérie Républicaine Moderne et Sociale »
   
  PARTI pour la LAICITE et la DEMOCRATIE (P-L-D) ex MDSL
  Les intellectuels et "idiots utiles" qui font le jeu, selon l'Iranienne Chahdortt Djavann, de l'idéologie islamique!
 

Chahdortt Djavann : "Les islamistes ont piégé les débats"

Dans un livre virulent, l'essayiste d'origine iranienne fustige les intellectuels et "idiots utiles" qui font le jeu, selon elle, de l'idéologie islamique.
PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MAHLER

 Le Point.fr 

Chahdortt Djavann a quitté l’Iran pour la France en 1993. Cette pourfendeuse du voile publie aujourd’hui "Comment lutter efficacement contre l’idéologie islamique". © JP PAGA

Romancière et essayiste, Chahdortt Djavann a quitté l'Iran pour la France en 1993. Cette pourfendeuse du voile publie aujourd'hui Comment lutter efficacement contre l'idéologie islamique* (Grasset), un livre qui entend démontrer comment, sur les questions du voile, de "l'islamophobie" ou du terrorisme, des "idéologues de l'islam ont piégé tout débat et tout discours intellectuel et politique". Elle s'en prend notamment au sociologue Farhad Khorsrokhavar, mais également à la dessinatrice et réalisatrice Marjane Satrapi, des exilés iraniens qui, selon elle, manient des discours ambigus sur le régime des mollahs. Entretien.

Le Point.fr : Dans votre livre, vous vous en prenez à la thèse d'Olivier Royqui explique que le terrorisme djihadiste en France est aujourd'hui plus lié à un nihilisme ou à une radicalisation de la jeunesse qu'à une idéologie islamique. Que lui reprochez-vous?

Chahdortt Djavann : Olivier Roy se trompe lourdement depuis des années. Si ces jeunes sont nihilistes, pourquoi crient-il "Allah Akbar" ? Non, c'est bien avant tout une idéologie, dont le terrorisme est le dernier recours, et parler d' "islamisation de la radicalité" est une manière de nier la première évidence : la radicalisation de l'islam. Ce à quoi nous assistons aujourd'hui est le résultat de près de vingt-cinq ans de travail souterrain d'islamisation de certains quartiers, cités et banlieues. Le préalable à la radicalisation d'un individu - pas forcément socialement défavorisé d'ailleurs - a été l'islamisation rampante de tout son environnement, la normalisation des dogmes islamiques, la banalisation du port du voile... La propagation de l'idéologie islamique était nécessaire pour créer un cadre dans lequel la radicalisation rapide d'une tout petite minorité devienne possible. Quand les groupuscules de la gauche radicale commettaient des attentats dans les années 1970, l'idéologie anticapitaliste s'était conjuguée à la faillite du communisme pour imprégner les esprits depuis longtemps. Mais les gauchistes avaient des revendications et s'en prenaient, comme en Italie, aux grands patrons et aux responsables politiques qu'ils estimaient être à leur solde. Aujourd'hui, les djihadistes tuent au hasard, pour provoquer l'effroi, créer des tentions, disloquer les sociétés jugées "impies" en essayant d'y semer la guerre civile, et empêcher les musulmans d'Europe de s'y intégrer.

 

Vous récusez aussi l'argument selon lequel les jeunes qui commettent des attentats ne connaîtraient pas le Coran et seraient "ignorants de l'islam"…

En France, politiques, journalistes et intellectuels estiment – hélas ! – que la séquence que nous vivons n'a pas été pensée, conceptualisée, préparée et mise en place depuis de longues années. C'est à mon sens une erreur : ce à quoi nous assistons est le fruit d'un vrai travail conceptuel de certains grands idéologues de l'islam, comme il y a eu des grands penseurs du communisme ou du fascisme. Quand le sociologue iranien Fahrad Khosrokhavar, "spécialiste" de l'islamisme, de la Révolution iranienne, de la radicalisation en prison – et par ailleurs défenseur du nucléaire en Iran comme du voile en France -, explique que ces jeunes ne connaissent pas deux sourates du Coran, ce n'est pas un argument. Vous non plus vous ne connaissez pas deux sourates du Coran, mais vous n'allez pas pour autant vous transformer en ceinture explosive ou égorger un prêtre. Une immense majorité des musulmans ne connaît pas deux sourates du Coran, soit parce qu'elle n'est pas arabophone, soit parce qu'elle est analphabète. Pour autant, ces femmes et ces hommes sont pacifiques et à mille lieux de commettre des attentats.

En revanche, il y a des gens qui connaissent très bien le Coran et incitent à la guerre et à la haine, à l'image des guides suprêmes iraniens Khomeiny et Khamenei. Des "idiots utiles" comme Michel Wieviorka ont repris en chœur cet argument de Khosrokhavar. C'est très précisément ce que je démontre dans ce livre : la manière dont nous avons "intériorisé" le discours des islamistes. Lesquels sont très rusés et cultivés, très intelligents. Ils sont parvenus à piéger le débat et à aveugler les esprits locaux, pris en tenailles entre la culpabilité post-coloniale et une méfiance générale à l'égard de tous les musulmans. Autre argument stupide : tel ou tel terroriste ne fait pas sa prière et ne pratique pas le ramadan, et boit même de l'alcool. So what ? Beaucoup de gens ont répété cela pour en déduire qu'il n'y avait aucun lien entre la pratique de la foi et le passage à l'acte. D'autres nous ont expliqué que c'était justement pour racheter leurs péchés que les fous de Dieu passaient à l'acte. Ces arguments créent la méfiance à l'égard de tout musulman, qu'il soit pratiquant ou non. Et c'est ça exactement le but des islamistes. La question n'est pas de faire ou de ne pas faire ses prières ou le ramadan. Le problème, c'est que les discours politique et intellectuel depuis des années ont accordé une plus-value morale aux pratiques et aux dogmes islamiques, qui envahissent la société. Ce qui a permis l'essor de l'islamisation. Ce que je veux démontrer et démonter dans ce livre, c'est la manière dont de grands manipulateurs sont parvenus à introduire le virus de l'idéologie islamique dans le corps même des sociétés européennes, avec l'aide de certains sociologues et universitaires européens.

Le vrai problème, selon vous, c'est que beaucoup de croyants dans l'islam ignorent que le Coran est un livre écrit par les hommes, et non pas créé ex-nihilo…

Encore une fois, les islamistes ont piégé le discours. Tout le monde répète le même leitmotiv depuis des années : "Le problème n'est pas le Coran, mais l'interprétation du Coran." Et il n'y a personne pour répondre que l'interprétation concerne tout livre et la bonne interprétation des uns n'est jamais que la mauvaise interprétation des autres. Ce qui pose problème, c'est le statut du Coran. C'est la prétendue sacralité divine du Coran. Il faut dire et enseigner dans nos écoles que c'est un livre écrit par les hommes, tout comme la Bible. Le Coran, en grande partie, est la traduction en arabe de la Bible - le plagiat existait déjà à l'époque - et s'y ajoutent des textes historiques concernant Mahomet qui ont été écrits après sa mort. Du coup, Mahomet lui-même n'a pas lu deux sourates du Coran, puisque, de son vivant, le Coran n'avait pas encore été écrit !

Le même problème s'est posé et se pose encore avec la Bible…

Vous connaissez aujourd'hui beaucoup de chrétiens, en France ou en Europe, qui revendiquent, comme le font tant de gamins dans les collèges et lycées au nom du Coran, la soumission à tel ou tel verset de la Bible ? Où aurait-on menacé quelqu'un ou émis une fatwa pour cause de blasphème envers la Bible?

Pour vous, loin d'être un simple fichu, le voile islamique serait un "drapeau" dépassant les nationalités. Pourquoi ?

L'introduction du voile dans les sociétés occidentales était indispensable pour amorcer la réislamisation de la jeunesse issue de l'immigration. Matériellement, le voile est l'emblème de l'idéologie islamique, de l'oumma et de la charia. Le voile sur la tête des femmes permet de faire alliance, ici en Europe, entre les islamistes marocains, tunisiens, algériens, iraniens, saoudiens, syriens... C'est autour de ces femmes voilées, corps tabou, que le rassemblement des islamistes de tout acabit a été possible, par-delà les nationalités ou les confessions (chiites, sunnites…).

Dire du voile que ce n'est qu'un bout de tissu, ce serait comme dire du drapeau français que ce n'est qu'un simple morceau d'étoffe, alors qu'il est le symbole d'un pays, d'une nation. J'ai trouvé François Hollande affligeant quand il a expliqué que le voile n'était pas un problème, que cela dépendait de la manière dont on le portait. Que ne nous a-t-il fait lui-même un essayage en guise de démonstration ! Il a fait et dit tout ce qu'un président ne devrait pas dire et faire. Il a tellement ridiculisé la fonction présidentielle qu'il n'en est plus à un ridicule près.

Pour vous, d'un point de vue psychanalytique, le voile transforme la moitié de la population en "tabou", et l'autre, les hommes, en êtres libidineux incapables de contenir leurs pulsions…

En voilant les femmes, la charia transforme les femmes en objet tabou. Faire de la moitié de la population un objet tabou, c'est contrôler les pulsions libidinales de l'autre moitié : les hommes. Le voile symbolise l'apartheid sexuel, c'est-à-dire une séparation radicale des espace féminin et masculin. Un apartheid qui, au passage, existait dans tous les pays musulmans avant 1920, les femmes étant totalement dissimulées de la tête aux pieds. Elles n'avaient aucun droit. La femme, en portant le voile, devient aussi un objet haram (l'envers maléfique du halal), c'est-à-dire illicite, impur, non seulement pour les hommes qui ne sont pas de sa famille (père, frère, oncle, grand-père, mari), mais aussi et surtout pour les non-musulmans. Le voile véhicule donc un message clair : si vous voulez nos femmes, il faut que vous vous convertissiez à l'islam. Le voile, dans ce sens, est l'instrument le plus efficace du prosélytisme islamiste. Le sens, la portée du voile restent les mêmes ici comme en Arabie saoudite. Dans les pays musulmans, il appuie la charia, qui fait de la femme - juridiquement, socialement, sexuellement - un sous-homme ; mais dans les pays européens, il devient un signe d'opposition à l'égalité homme-femme et aux lois démocratiques.

Selon vous, il y aurait dans les pays musulmans "une misère sexuelle immense". Mais l'anthropologue Malek Chebel, décédé récemment, n'a au contraire cessé de montrer la volupté et l'érotisme dans la culture arabe…

Il y a beaucoup de spécialistes qui ont des positions très ambiguës. Ils vendent les aspects positifs de l'islam en attribuant tous les aspects négatif à l'islamisme qui, selon eux, n'aurait rien à voir avec l'islam ! L'islam parle de l'érotisme, mais pour les hommes, car il traite beaucoup des choses en-dessous de la ceinture à leur avantage. Les mêmes personnes nous répètent que l'islam serait la religion de la paix. Or, ce n'est pas par la paix que l'islam a envahi d'autres civilisations : l'Iran, Byzance, l'Égypte, l'Indonésie et à une époque même l'Espagne en arrivant jusqu'à Poitiers… Aucune religion n'est qu'une "religion de paix".

En ce qui concerne le voile, toutes les études récentes montrent par exemple que les femmes portant le niqab le font volontairement en France et l'imposent même à leur conjoint. Certains sociologues vont jusqu'à parler d'un "féminisme" ou d'une "affirmation de soi"…

Déjà, dire que "le voile, c'est mon choix" ne dit pas ce qu'est le voile ni quelle est sa fonction. On peut aussi porter une croix gammée et dire "c'est mon choix". Des néonazis le font, mais personne n'oserait dire pour autant que la croix gammée a changé de signification. Or, depuis des années, on voudrait - notamment Fahrad Khosrokhavar– nous faire croire que le voile a changé de sens. Alors même qu'en 2016, il est porté en Arabie saoudite ou en Iran et que tous les mouvements djihadistes imposent le voile aux femmes. J'aimerais bien que les gens comprennent dans quel délire nous nous sommes engagés avec ces discours. Imaginez par exemple qu'en Chine, ou aux États-Unis, des Allemands se mettent à porter la croix gammée en expliquant "ça n'a rien à voir avec le nazisme, car la croix gammée a changé de signification". Est-ce que vous, qui savez ce qu'est le nazisme, allez gober ça ? Non, bien sûr. De même, je ne comprends pas comment on voudrait nous faire croire que le voile a changé de signification, devenant par miracle un symbole d'émancipation. De quoi s'émanciperait-on en portant un chiffon sur la tête ? Toutes celles qui ne portent pas le voile ne seraient donc pas encore émancipées ? De même, quand on dit "c'est ma pudeur", ça signifie que toutes celles qui n'en portent pas n'ont pas de pudeur.

Quand le sociologue iranien Khosrokavar nous explique que le voile est "l'affirmation de soi", il reprend exactement des discours que les gens comme lui nous inculquaient en Iran dans les années 1980. Des hommes ou des femmes fascistes venaient et nous expliquaient que le voile permettait de s'émanciper des normes occidentales ayant fait de la femme un objet publicitaire et vulgaire. Des normes occidentales qui avaient envahi l'Iran à l'époque du shah. La réislamisation de la jeunesse musulmane ici en Europe repose sur les mêmes méthodes que celles de la réislamisation en Iran, en Tunisie, en Algérie, en Égypte, en Turquie… C'est le même procédé, car il vise la jeunesse musulmane, sauf qu'en Europe, c'est encore plus efficace sur une population marginalisée et ghettoïsée. Ainsi nous avons des cités, des banlieues, des quartiers plus islamisés en France que certaines villes dans les pays musulmans.

 

Ne croyez-vous pas qu'il y a un racisme social en France qui pousse ces jeunes vers l'islamisme?

Je ne crois pas qu'il y ait de racisme en France. Ni racisme d'État ni racisme social. Allez en Iran, et vous verrez comment les Afghans sont traités, pire que des chiens, et vous comprendrez ce qu'est un racisme social ! Allez au Maroc et en Algérie, et vous allez voir comment les Noirs sont traités. Je le dis et je le répète, les Français ne sont pas racistes. Comment peut-on dire d'un peuple qu'il est raciste alors même qu'il admet, depuis des années, que les immigrés puissent bénéficier des aides sociales et de la Sécurité sociale à l'instar des nationaux ? Penser et affirmer que nos lois, nos mœurs sont meilleures que celles qui sévissent dans les pays musulmans n'est en rien raciste. C'est juste de la lucidité. Encore faut-il avoir connu d'autres régimes pour pouvoir l'affirmer avec force…

Vous avez été auditionnée devant la commission Stasi en 2003, en amont de la loi sur le voile à l'école en 2004. Mais la solution était-elle juridique ?

Si on n'avait pas fait cette loi, il y aurait aujourd'hui dans les écoles primaires, collèges et lycées beaucoup de filles d'origine musulmane voilées. Mais il fallait en 2003 aller plus loin, comme je l'avais proposé : reconnaître le voile des mineurs comme une maltraitance et lancer un vrai programme pédagogique. Quand je suis arrivée devant cette commission, j'ai demandé aux membres : "Pourquoi voile-t-on une gamine ?" Ils ne le savaient pas. Pour Alain Touraine ou Mohammed Arkoun, le voile était juste un symbole religieux de l'islam modéré, sans importance, qu'il fallait laisser prospérer paisiblement pour ne pas "stigmatiser les musulmans". Si l'islam modéré veut voiler les mineures, leur avais-je alors rétorqué, que feront alors les islamistes ? Nulle réponse non plus.

Vous déconstruisez, dans le livre, les notions de "stigmatisation" et d'"islamophobie"…

Khomeiny, en persan, martelait trois slogans : "nous exporterons l'islam dans le monde entier" ; "notre bombe atomique est l'islam" ; "les Occidentaux ont peur de l'islam". Khomeiny ne connaissait évidemment pas le mot "phobie", ne parlant pas le grec ancien ou le français ou l'anglais. Ce sont les idéologues iraniens qui, d'après sa formule "les Occidentaux ont peur de l'islam", ont créé la redoutable formule d' "islamophobie", qui incrimine d'emblée toute critique envers l'islam. On assimile au racisme et à la xénophobie toute critique envers l'islam. Or, les gens qui critiquent la religion chrétienne ne sont pas traités de "christianophobes ".

Pour ce qui est de "la stigmatisation d'une communauté", tout a débuté en 1989. C'est l'année où l'Iran s'ouvre pour la première fois après l'élection de Rafsandjani, qualifié de "pragmatique". L'Iran s'ouvre au commerce après la guerre avec l'Irak et, la même année, Khomeiny lance la fawta contre Salman Rushie qui se transforme en arme idéologique redoutable. Personne n'en prend conscience à l'époque, mais il divise l'opinion et créé une ferveur pour l'islam auprès des enfants, des adolescents, des jeunes musulmans à travers le monde, et bien sûr ici, en France. La religion des peuples opprimés n'est pas respectée ! La même année, 1989, il y a l'affaire des trois filles voilées. On explique que le fait de ne pas accepter ces gamines au collège va "stigmatiser la communauté musulmane". C'est comme ça que cette formule est née, qui sera répétée des millions de fois par la suite. En psychologie sociale, pour lancer un "produit", on fait d'une exception une généralité. Alors que nul n'avait interrogé cette prétendue "communauté musulmane", qui n'avait rien demandé à personne et qui, en 1989, était dans son immense majorité contre le voile, la voilà qui se réveille un beau matin comme "la communauté musulmane stigmatisée". La voici devenue à la fois monolithique et victimisée.

Aujourd'hui, selon l'Institut Montaigne, 28 % des musulmans français préfèrent la charia. Ce qui signifie que 72 % des musulmans optent pour les lois démocratiques. L'immense majorité est républicaine, donc. Or, on nous répète que la communauté musulmane va être stigmatisée pour un oui ou pour un non. La répétition de ces formules a contribué à répandre l'idéologie islamique. Dès 1989, les idéologues de l'islam ont réussi à faire croire aux musulmans qu'ils étaient non seulement maltraités dans les pays occidentaux, mais que leur religion y était de surcroît stigmatisée, moquée et maltraitée. Et voilà donc l'islam devenue la "religion des peuples opprimés ", alors que ce "peuple opprimé" a par ailleurs des puits de pétrole et achète la moitié de la France, de l'Espagne et de l'Italie par le biais du Qatar et de l'Arabie saoudite.

Pour vous, l'Iran serait le "cerveau" de cette idéologie islamique. N'est-ce pas plutôt le wahhabisme ou les Frères musulmans ?

Déjà, avant Hassan Al-Banna qui a fondé les Frères musulmans, il y a Al-Afghani (1838-1897), né en Iran et qui a voyagé en Égypte. C'est lui le premier grand penseur de l'islam politique. Ensuite, en 1954, il y a une fusion entre les Frères musulmans égyptiens et les islamistes iraniens : Khomeiny et Hassan Al Banna étaient de la même génération et se considéraient comme frères ! Khameini, aujourd'hui guide du régime iranien, a traduit en 1970 l'œuvre de l'idéologue radical sunnit Qutb, membre des Frères musulmans. Un timbre à son effigie est d'ailleurs émis en 1984 en Iran. Et quand Morsi a été élu, son premier voyage a été en Iran... Donc la distinction sunnite/chiite ne tient pas toujours, surtout quand il s'agit de leur ennemi commun : l'Occident. De même, le Hezbollah a été exporté par l'Iran au Liban.

Je n'exonère en rien l'Arabie saoudite, mais à l'époque où l'Iran prenait d'assaut l'ambassade des États-Unis, commettait des attentats en France, au Liban, et lançait des fatwas, les plus fervents des Saoudiens combattaient aux côtés des Américains contre les Soviétiques. Ben Laden n'était alors qu'un brave petit soldat : il n'est devenu Ben Laden que plus tard. Puis, dans les années 1990, les pays sunnites se sont réveillés et ont investi dans le projet des mollahs iraniens : l'islamisation de l'Occident. Ils sont devenus des rivaux, car les Saoudiens et Qataris ont vu que la République islamique d'Iran était devenue le modèle des islamistes tunisiens, égyptiens, algériens, soudanais… et que son influence grandissait non seulement dans la région, mais aussi en Afrique ou en Amérique du Sud.

La distinction sunnite et chiite ne serait donc pas si importante quand il s'agit d'islamisme…

Il y a les lobbys de l'Arabie saoudite qui accusent l'Iran et les lobbys iraniens qui accusent l'Arabie saoudite de tous les maux. Il y a effectivement des rivalités, des guerres, une animosité entre sunnites et chiites. Mais l'idéologie qui transcende tout ça, c'est l'idée que les guerres internes ne sont que des sacrifices pour le projet final de l'islamisation de l'Europe. Khomeiny expliquait que plus les musulmans se sacrifieront pour l'islam, plus il sera triomphant. Il ne disait d'ailleurs jamais qu'il allait exporter l'islam chiite dans le monde entier, mais l'islam tout court. Il y a bien sûr des mouvements hostiles, rivaux, antagonistes, des intérêts divergents entre les pays musulmans du Golfe ou d'Afrique du Nord, mais tous savent qu'au commencement de l'islam, les guerres fratricides entre les premiers musulmans, après la mort de Mahomet, n'ont pas empêché l'islam de vaincre les grandes civilisations de l'époque. Regardez : depuis des décennies, l'Arabie saoudite et l'Iran sont rivaux, ils se font la guerre au Yemen, à Bahreïn, en Syrie, mais l'islam progresse dans le monde !

Comment expliquer que Khomeiny, en 1978, ait pu séduire des intellectuels français comme Michel Foucault ?

Foucault n'est pas le seul. Libération a lancé la carrière internationale de Khomeiny en titrant "l'ayatollah sous les pommiers", avec une photographie d'un sage sous son arbre. On a pris Khomeiny pour un petit religieux naïf. Mais c'était un grand stratège. On se disait d'ailleurs que des religieux incultes n'arriveraient jamais à diriger un pays aussi important que l'Iran. Personne n'aurait imaginé que ce régime tiendrait 37 ans. Non seulement ils sont toujours au pouvoir, mais ils ont exporté l'idéologie islamique au monde entier !

Pourquoi être aussi virulente envers Farhad Khosrokhavar, sociologue respecté et directeur d'études à l'EHESS ?

C'est vous qui dites qu'il est "respecté". Khosrokhavar est un défenseur du régime iranien et du nucléaire iranien, il était parmi les premiers défenseurs du voile des mineures à l'école, puis à l'université, et aussi de la burqa... Au moment du 11 septembre 2001, il nous expliquait sur les chaînes de télé et à la radio que le problème du terrorisme n'avait rien à voir avec un manque d'éducation, car ceux qui avaient commis ces attentats étaient des gens diplômés. Et maintenant, il nous dit exactement l'inverse ! Je montre dans le livre ce qu'il a dit, fait, écrit. Rien de plus. Bien qu'il soit iranien, bien qu'il soit chiite, bien qu'il soit proche du régime des mollahs, il a défendu l'idée selon laquelle la loi contre la burqa allait stigmatiser la "communauté musulmane en France" ! Il a été un des pionniers à travailler dans les banlieues, il a été un des pionniers à travailler sur la radicalisation dans les prisons, à l'époque où nul ne parlait de la radicalisation, il est proche de beaucoup de socialistes au pouvoir aujourd'hui, il est apparemment un inspirateur de notre président, puisque c'est Khosrokhavar qui avait dit, en tant que "spécialiste", que le tueur de Nice était "un dépressif suicidaire", formule reprise par François Hollande. Eh bien, je pense qu'il est légitime de se poser des questions à propos de la "spécialité" de ce genre de "spécialistes" parce qu'ils sont fonctionnaires et payés par les contribuables. Et que, malgré leurs "recherches"  et l'argent de l'État dépensé depuis plus de 25 ans contre la montée de violences et de l'islamisme, nous sommes dans ce merdier !

Vous vous en prenez aussi au cinéma iranien pourtant encensé dans les festivals internationaux...

Je ne mets pas en cause le talent de certains cinéastes iraniens. Mais le cinéma iranien a joué un rôle immense dans la normalisation du voile et des dogmes islamiques par le haut. Khomeiny au début avait interdit tout bonnement le cinéma, il l'a autorisé lorsqu'il a compris le rôle important du cinéma dans les sociétés occidentales. Les mollahs ont compris que la culture "politiquement correcte" était un bon véhicule pour répandre leur vision islamique. En primant les films iraniens, c'est l'art de la censure du régime islamique qu'on prime. Et puis, comme par hasard, dès qu'on promeut un film, il y a une négociation politique qui est en cours avec l'Iran, un contrat commercial important est en train d'être signé… Un système totalitaire fait de chaque citoyen son complice et de "ses artistes attitrés" des collabos actifs.

Vous allez jusqu'à critiquer Marjane Satrapi. Mais Persepolis est le récit d'une émancipation des islamistes !

Quelle émancipation ? Vous projetez vos idées sur ce que vous n'avez pas vu dans le film. Et vous ne voyez pas ce qui est dans le film ! Dans Persepolisde Marjane Satrapi, personne n'a voulu voir qu'il n'y avait pas une seule image de Khomeiny ! Il n'est même pas nommé dans une bande dessiné absolument réaliste, qui prétend raconter la révolution islamique pour des jeunes lecteurs occidentaux, alors qu'il en a été le guide suprême ! Imaginez-vous un film réaliste sur l'Allemagne nazie qui n'évoquerait jamais le nom d'Hitler !?  Jamais de "Heil Hitler "! Elle a fustigé la loi de 2004 contre les signes ostentatoires à l'école. Et quand on lui pose la question sur le statut des femmes en Iran, elle répond que, contrairement à l'Arabie saoudite, les femmes conduisent et que 70 % des étudiants sont des femmes ! D'où sort-elle ce chiffre ? C'est impossible puisqu'il y a des quotas en Iran pour les filles. En médecine, c'est 40 % maximum pour les filles, et 30 % dans les filières d'ingénieurs. Ce sont des propagandes du régime.

Dans Perspolis, Marjane Satrapi ne raconte aucun des slogans qu'on nous faisait aboyer à l'école dans les années 1980, les "À bas l'Amérique !" et "À bas Israël !". Elle montre des bouleversements inhérents à toute révolution et elle écrit que "ce n'est qu'une période de transition". Alors que, comme elle prétend l'avoir fait dans Persepolis, c'est impossible que quelqu'un puisse répondre aux agents de la morale "vous n'avez qu'à ne pas regarder mon cul !"  et continuer son chemin. Elle aurait été tabassée à mort ! Ou de se lever et critiquer le régime à l'école ou à l'université. Pour beaucoup moins que ça, des étudiantes, des adolescentes ont été arrêtées et torturées. Dans sa bande dessinée, les Occidentaux, et notamment les bonnes sœurs, sont des menteuses, des vindicatives, des racistes, et des "ex-putes". Mais elle ne dit jamais que les mollahs sont des pédophiles qui ont baissé l'âge du mariage à 9 ans pour les filles. Les mollahs, Satrapi ne connaît pas. Après le Shah, l'Iran n'a pas de dirigeants. Montrez-moi une phrase de Satrapi où elle condamne vraiment le régime ! Oui, les femmes conduisent en Iran, sont dans les universités, mais quand à votre avis ont-elles obtenu ces droits ? Avant le régime de Khomeiny bien sûr.

Vous critiquez aussi sévèrement le bilan géopolitique de Barack Obama, dont beaucoup sont pourtant déjà nostalgiques...

En 2007 déjà, dans mon essai, j'avais écrit que si l'Amérique retire ses soldats d'Irak, elle offrirait l'Irak sur un plateau d'argent à l'Iran et que les mouvements djihadistes se propageraient. Parmi les premières conditions pour négocier sur le nucléaire, l'Iran avait bien sûr placé ce retrait des troupes américaines. Et Obama a exhaussé le souhait des mollahs iraniens. Parce qu'il est noir et beau, on lui pardonne tout. Alors que si Bush avait été responsable du fiasco en Libye, en Syrie, vous imaginez ce qu'on aurait écrit... En 2009, au Caire, dans un de ces pays musulmans où les droits de l'homme sont piétinés, le seul problème qui semblait préoccuper Obama était que les femmes aient le droit de porter le voile. C'était une main tendue aux Frères musulmans. Nos chères féministes américaines et européennes, qui adorent Obama, ne sont-elles pas au courant que, pour les Frères musulmans comme pour tous les islamistes pro-voile, l'avortement est un crime dont le châtiment peut être la mort ? De même que l'homosexualité est un crime passible de la peine de mort ?

Ne nourrissez-vous pas une obsession pour l'Iran du fait de votre histoire personnelle ?

L'Iran n'est plus mon pays. J'ai tourné la page. On ne choisit pas le lieu où on est né. Mais si on parle du nazisme, on est bien obligé de parler de l'Allemagne. Comme on parle de l'ex-URSS quand on aborde le communisme. Pour comprendre comment une idéologie s'est exportée, il faut d'abord voir où elle née, comment elle a été institutionnalisée, puis étatisée. Et il se trouve que l'Iran a été le premier pays où l'islam s'est transformé en idéologie et en un système totalitaire moderne. C'est cela qui distingue l'Iran de l'Arabie saoudite et c'est pour cela que le modèle politique du régime iranien est devenu celui de Ennadha ou des Frères musulmans. Les mollahs iraniens ont fait de l'islam un système idéologique, un totalitarisme moderne, sophistiqué dans le fond et assez pragmatique dans la forme. On me présente toujours comme "iranienne" et on me rattache à mon histoire personnelle, alors même que je n'ai que la nationalité française depuis 1999. Mais Khosrokhavar, lui, on le présente comme "spécialiste de l'islamisme et de la radicalisation". Personne ne lui demande son histoire personnelle. Si on comprenait qu'il a enseigné à l'université iranienne durant les années de purge et qu'il a été pro-Khomeiny et a travaillé pour le régime, peut-être que nos politiques au pouvoir aujourd'hui, qui pour certains sont des idiots utiles pour ne pas dire des imbéciles, se poseraient quelques questions.

À la fin du livre, vous proposez notamment un contrat de laïcité pour les immigrés...

Sur certains sujets, je propose des solutions, sans décréter ce qu'il faut faire, et je dis qu'il est sage de les soumettre au vote populaire, au référendum. La tension créée par l'idéologie islamique, ainsi que par les attentats, concerne toute la société, et les décisions à prendre sont l'affaire de tous, pas seulement des pseudo-experts et intellectuels. Ces décisions ne peuvent pas non plus relever du caprice d'un candidat à la présidentielle. Le référendum sur ces sujets me parait essentiel, car pour que les gens se comportent d'une façon responsable, il est crucial qu'il se sentent responsabilisés. Il faut consulter le peuple si on veut garder la cohésion nationale sur long terme, puisque la menace des attentats ne sera pas éliminée en six mois. Une fois ces décisions adoptées par référendum, je propose que quiconque ne les respecte pas soit déchu de tous ses droits de citoyenneté. Nul ne doit bénéficier des droits sans respecter les lois démocratiques.

Vous proposez aussi que soit demandé aux juifs et aux catholiques de ne plus porter de signes distinctifs, "pour montrer l'exemple". N'est-ce pas de l'intégrisme laïc ?

Il n'y aurait pas mort d'homme. Nous sommes en état d'urgence. Et puis, je ne décrète rien, je propose. Il y a des métiers indispensables sans lesquels aucune société un peu moderne ne peut exister : médecins, gendarmes, militaires, policiers, pompiers... Eh bien, quand ils ne sont pas en poste, ils n'affichent pas leur tenue alors même qu'ils sont indispensables à toutes les sociétés, a fortiori dans l'état urgence dans lequel nous vivons. Aucune croyance religieuse n'est indispensable à une société, puisque les unes peuvent être remplacées par les autres. Mais vous ne pouvez remplacer les médecins par les policiers et vice versa.  Si on veut vivre en paix, malgré les grandes tensions, il serait bon que ceux qui volent porter leur tenue religieuse le fassent dans un espace privé (lieux de culte ou domicile) mais que dans l'espace public, tout le monde s'astreigne à vivre "en civil". Je pense qu'il est temps d'admettre que la foi et la sexualité relèvent de l'intimité et se pratiquent dans l'intimité. Affichons ce qui nous rassemble et non ce qui nous divise. Il y a des opinions politiques, des goûts artistiques, intellectuels… pour diversifier et diviser. Il est bon que ce qui est prétendument sacré et intime reste dans les lieux sacrés et intimes. Et quant à la tolérance, comme le disait Claudel, "il y a des maisons pour ça" !

"Nous devons nous battre contre l'obscurantisme en prenant pour armes la raison et l'intelligence", écrivez-vous. Mais ne craignez-vous pas aujourd'hui que des personnes qui brandissent une identité chrétienne menacent elles aussi les Lumières ?

Je ne connais pas suffisamment le christianisme, mais j'ai cru comprendre que l'Église catholique demandait pardon pour la pédophilie. Ils ne disent pas que ça n'a rien à voir avec l'Église ou avec le catholicisme. Il y a eu des manifestations contre le mariage pour tous, mais pas de menaces de mort de la part des catholiques intégristes. Ne comparons donc pas ce qui n'est pas comparable. À vouloir mettre tous les extrémistes dans le même sac, on banalise l'idéologie islamique et on contribue à sa diffusion. Aujourd'hui, nul n'est menacé de mort parce qu'il a caricaturé le Christ. Et les bouffeurs de curés ne sont pas incriminés comme christianophobes, alors que l'expression "bouffeurs  d'imam" n'existe même pas ! Ils seraient trucidés. Eh bien, je le dis sans hypocrisie, je préfère les extrémistes catholiques qui se disent "pro-life", qui assistent et aident les jeunes filles ou les femmes enceintes en détresse, ou qui manifestent contre le mariage des homosexuels, aux extrémistes musulmans qui égorgent les filles non mariées qui tombent enceinte, qui obligent les filles violées à épouser leurs violeurs, qui condamnent à mort celles qui avortent et qui exécutent les homosexuels. Entre la barbarie et l'esprit très conservateur, quand bien même critiquable, je choisis sans hésiter le conservatisme : les dangers ne sont pas comparables. Certes, le christianisme du Moyen-Âge n'avait rien à envier à l'islam d'aujourd'hui, mais il se trouve que le christianisme a dépassé son Moyen-Âge alors que l'islam vit son Moyen-Âge, ce qui ne signifie nullement que tous les musulmans adhèrent à cet islam-là.

 
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