« Pour une Algérie Républicaine Moderne et Sociale »
   
  PARTI pour la LAICITE et la DEMOCRATIE (P-L-D) ex MDSL
  WASSYLA TAMZALI avec Khadîdja Baba-Ahmed, du Soir d' Algérie
 
 
 
«Rien ne m’empêchera de poursuivre cette idée de liberté que j’ai apprise dans la maison de mon père pendant les sombres années de la lutte pour l’indépendance de mon pays.» C’est ce qu’écrit Wassyla Tamzali dans l’épilogue de son dernier livre Une femme en colère, lettre d’Alger aux Européens désabusés, aux éditions Gallimard.
De notre bureau à Paris, Khadîdja Baba-Ahmed,
Et lorsqu’elle interpelle les «filles de Beauvoir», dans ce livre, c’est en résumé pour leur dire : «Qu’elles sont frappées d’amnésie, elles ne reconnaissent pas en nous les combats qu’elles ont menés en leur temps.» Et de s’interroger : «S’agit-il d’ailleurs d’amnésie ou d’ethnicisme ?» Qu’importe, répond-elle, «nous, féministes des pays dits arabo-islamiques aujourd’hui innommées pour les uns et innommables pour les autres, rejetées par ceux de notre camp comme étrangères, et invisibles à vos yeux, nous sommes condamnées à la solitude ». L’auteure est cependant loin de se résigner à cette solitude. Son engagement universaliste et féministe, elle l’exerce au sein du collectif Maghreb- Egalité, dont elle est membre fondateur et dans le Forum des femmes de la Méditerranée, dont elle assure la présidence. Dans ce dernier livre, Wassyla Tamzali interpelle mais explique aussi son combat, tout en développant sur des questions aussi importantes que celles qu’est-ce qu’être musulmane aujourd’hui ? Le rapport à l’Occident, l’éros musulman et enfin elle dit pourquoi elle s’intéresse à ce qui se passe en France et en Europe aujourd’hui. Et c’est précisément sur ce dernier point et sur certains autres que s’est centré notre entretien.

Khadîdja Baba-Ahmed : Beaucoup de démocrates installés en France sont aujourd’hui très mal à l’aise avec le débat sur la burqa, intervenu dans un contexte très particulier, concomitance avec celui de l‘identité nationale ; visées de droite mais souvent aussi de gauche de complaire aux électeurs en la veille d’échéances électorales prochaines ; amalgames et émergence d’un nouveau discours mêlant identité, immigrés, musulmans… Tout cela ne rend-il pas difficile l’expression publique de ces démocrates qui se retrouvent face à un dilemme : se taire sur une laïcité qu’ils ont toujours défendue et dont ils observent le recul régulier, notamment par les tenants de la burqa, ou s’exprimer contre la burqa, quitte à rajouter leurs voix à celles qui concoctent la loi sur la burqa et dont l’enjeu va au-delà de toutes les raisons avancées et cache le rejet de l’autre, l’étranger, surtout s’il est musulman ou de culture musulmane.
Wassyla Tamzali :
Cette question est au cœur du problème. Aujourd’hui, nous avons une voie étroite pour nous exprimer et quand je dis «nous», je parle des hommes et des femmes qui revendiquent leur identification comme musulmans, qui pratiquent mais qui ont une conscience moderne et qui refusent le voile et les pratiques qu’on lie abusivement à l’islam parce qu’ils sont, eux, très bien placés pour le savoir. Comme moi, je suis bien placée pour le savoir parce que l’histoire du voile est mon histoire plus exactement l’histoire du dévoilement. J’appartiens à cette génération et à un pays où on a dévoilé les femmes dès les années 1930. Ce n’est pas une histoire d’hier, même s’il y a eu des dates plus symboliques comme le 5 Juillet 1962. Les femmes ont alors jeté leurs voiles d’une façon très forte et massive. Mais avant le 5 Juillet, il y avait déjà des femmes, des jeunes filles – je pense par exemple à Nafissa Lalliam, jeune médecin alors, et qui ont pris le chemin du dévoilement. Elles l’ont fait avec le support de leurs familles lorsque ces familles avaient un projet moderne pour toute la famille et avec parfois, et c’est très émouvant, l’appui d’un père ou alors elles se sont dévoilées en se révoltant et nous ont ainsi ouvert un chemin que nous avons emprunté avec plus de facilités, nous qui sommes nées dans les années 1940/1950 et avions 20 ans à l’indépendance. Le voile, j’insiste là-dessus, c’est mon histoire, comme c’est votre histoire, c’est la nôtre et pas celle des intellectuels et politiques français. Il faut récupérer notre histoire en toute souveraineté. Nous décoloniser. Il est important pour les démocrates, les libéraux, les laïques que nous sortions du regard de l’autre.
Khadîdja Baba-Ahmed : C'est-à-dire ?
Wassyla Tamzali : Il faut que nous essayions de nous identifier par rapport à notre histoire et par rapport à nos désirs. Pour ce qui me concerne, par rapport à mon histoire et par rapport à mes désirs, je suis profondément contre la burqa. Et lorsqu’elle se montre et se développe dans les banlieues parisiennes, c’est une attitude tout à fait pathologique et qui n’a rien à voir avec une culture et avec une civilisation. J’ai observé et lu attentivement toutes les interviews et entretiens qui ont été faits avec ces femmes portant la burqa et il est évident qu’elles se servent de l’Islam, parce qu’aujourd’hui c’est une religion traversée par des courants radicaux et obscurantistes, pour beaucoup le salafisme. C’est un mouvement politique dangereux qui recrute justement ces femmes, des converties pour beaucoup. Quand elles tombent dans ces excès, l’on peut dire qu’elles ont des problèmes psychologiques et pathologiques sérieux. Et pourquoi ? Tout simplement parce que vous et moi savons qu’on peut être musulman sans porter la burqa, ni le voile. Alors, ex-nihilo de tout contexte agressif autour de l’islam – et, il faut le souligner, ce contexte agressif est très fort aujourd’hui, je suis contre la burqa et en même temps je refuse que l’on me questionne là-dessus parce que ce n’est pas mon histoire et je demande aux Européens de réfléchir par rapport à leur histoire, ses femmes sont françaises et elles appartiennent à l’histoire de France, qui est en crise. Les femmes musulmanes n’ont pas à payer la crise française.
Khadîdja Baba-Ahmed : Mais en même temps, je suis un peu perplexe quand vous dites que ce n’est pas notre histoire alors que nous, Algériennes, lorsque nous nous promenons dans notre pays et que nous observons les régressions que l’on connaît – hidjab, burqa —, glissements d’abord sémantiques n’ayant rien à voir avec notre parler algérien habituel et tant d’autres nouvelles pratiques d’un autre âge, l’on se dit que ça nous concerne tout de même et que c’est bien aussi notre histoire, non ?
Wassyla Tamzali : Lorsque je dis que ce n’est pas notre histoire, je parle là à des Français. Je leur dis, cela se passe ici : la burqa en France, c’est devenu un problème français. Et dans ce cas-là, ce que je trouve dommage c’est que les Français, au lieu de dire ce qu’ils pensent de la burqa par rapport à des critères qu’ils ont prétendument défendus jusqu’à maintenant au nom d’un humanisme général, pourquoi ils m’interrogent moi pour savoir ce qu’ils doivent penser de la burqa ? C’est ça que je veux dire. En France, 25 % de ces femmes qui la portent sont des converties, des Françaises. Et ce n’est pas moi, qui suis issue d’un islam, disons, des lumières, un islam qui a été profondément marqué par des transformations et une modernisation, l’islam des Oulémas pour ne citer que celui-ci, ce n’est donc pas moi qui vais leur expliquer ce qu’ils doivent penser. Evidemment en tant que féministe, c’est mon histoire. Dès que l’on veut réduire les femmes à un esclavage sexuel et leur humanité à une sexualité, j’interviens, comme j’interviens sur certaines pratiques masochistes qui sortent du cadre privé alors qu’elles sont interdites sur l’espace public. Je verrais bien interdire la burqa comme une pratique sadomasochiste. Mais si vous ramenez le débat en Algérie, je dirai aussi que nous sommes en train de subir un engrenage inévitable dés l’instant où l’on a lâché prise sur les premières manifestations que vous évoquez. Quant vous pensez que de très petites filles de chez nous vont à l’école voilées ! Même un voile léger est un signe de soumission. C’est parce que l’on a commencé par le voile que l’on a aujourd’hui la burqa. Et ça n’a pas été dit comme cela. On nous dit : «C’est notre culture, c’est le retour à l’islam». Il n’en n’est rien. On est en train de construire une vision de la société sous le prétexte de l’islam, qui légitime ainsi une culture patriarcale. C’est cela l’explication de la dégradation de la condition des femmes en Algérie et dans les pays qui se revendiquent comme musulmans. Et pas autre chose. Tout cela marche parce que ça charrie notre inconscient. C’est le continent noir des rapports des sexes en Algérie. Pour être plus concrète, cette inégalité est inscrite dans notre norme, nos lois.
Khadîdja Baba-Ahmed : Dans votre dernier livre ( Une femme en colère, lettre d’Alger aux Européens désabusés, chez Gallimard), vous interpellez les intellectuels européens qui avaient pour combat «l’universalité des droits de la personne» et qui ont abandonné aujourd’hui ce combat. Pourquoi ces intellectuels, notamment une certaine gauche — des alliés naturels, selon vous, parce qu’ils ont pris historiquement fait et cause pour la lutte algérienne de libération — pourquoi donc, selon vous, ces gens de gauche ont baissé les bras contribuant ainsi à l’émergence des poches de régression que l’on observe ?
Wassyla Tamzali : Les revendications actuelles de port de la burqa et autres exigences de ce type viennent des communautés maghrébines et en particulier d’ailleurs algériennes qui ont joué un rôle important parce qu’elles sont plus politisées et qu’elles ont avec la France un rapport particulier que les communautés marocaine ou tunisienne n’ont pas. Ces revendications identitaires venant des enfants d’anciens pays colonisés, une certaine gauche pense que reconnaître cette demande c’est faire amende honorable à l’histoire. Evidemment, ce jugement est tout à fait irrationnel ; ils ne le feraient pas chez eux par rapport à leur histoire alors qu’ils le font chez nous par rapport à notre histoire, ce qui dénote une forme très subtile de racisme. Par sentiment de culpabilité, je crois, ils acceptent de donner à la culture le pas sur les principes fondamentaux de liberté et d’égalité pour lesquels nous nous sommes libérés de la France, libération pour laquelle ils nous ont d’ailleurs soutenus. Une autre attitude vient de personnes plus jeunes et qui font florès actuellement dans les universités françaises. Ces jeunes représentent des courants de pensée que l’on appelle le post-modernisme et le post-colonialisme. Ces 30/40 ans sont dans toute une révision des savoirs et des disciplines, avec l’idée qu’aujourd’hui les principes universels ont fait leur temps historique. Cette position viendrait d’une certaine déception historique devant les résultats sociaux politiques de l’idéal universaliste. Ils considèrent qu’il n’a plus de légitimité de se revendiquer de l’universalisme.
Khadîdja Baba-Ahmed : L’une comme l’autre des deux attitudes n’ont-elles pas contribué à banaliser certains discours ou même parfois autorisé des pratiques ahurissantes : exigence par certaines femmes de plus en plus nombreuses de ne se faire ausculter dans les hôpitaux que par les femmes, refus d’assister à certains cours de sciences naturelles ou de sport, création dans certaines régions de piscines pour femmes…
Wassyla Tamzali :
Quelle est la situation ? Vous avez ces jeunes femmes, françaises ou immigrées de la 2e génération, universitaires, intégrées dans le tissu social, quoi qu’on dise je pense qu’aujourd’hui les Français de la deuxième génération ne sont pas plus pénalisés par la crise et le chômage que les autres jeunes de même classe sociale. On ne peut évidemment pas ignorer les phénomènes de racisme ancrés notamment dans la police ; phénomènes de peur qui s’explique aussi par le climat de guerre entretenu par des mouvements dont le plus radical est Al Qaïda et à sa tête Ben Laden, qui se revendique arabe et musulman. On n’entend pas assez la condamnation de cette terreur par ceux, citoyens ou institutions qui sont liés au monde musulman. Parlons de la recherche d’identité de ces jeunes qui cherchent à exposer publiquement leur «musulmanité ». Et regardons ce qui se passe entre les différentes vagues d’arrivées des Maghrébins en France, et notamment des Algériens. Les personnes venues en France dans les années 1980 pour travailler, et 1990 pour échapper au terrorisme islamiste savaient qui elles étaient. Elles n’ont pas eu besoin de l’exposer publiquement. Elles étaient algériennes, connaissaient leur histoire et ses difficultés. Moi par exemple j’ai des colères contre l’Algérie, mais j’étais algérienne. Mon père m’a transmis cette «algérianité», cet amour de l’Algérie, ses histoires algériennes. Le grand drame de ces immigrés de 2e génération c’est que les parents ne leur ont rien transmis et qu’ils ont dû alors se bricoler une identité dans un milieu hostile. Et pour survivre, eux qui n’étaient plus rien, pas français et pas plus algériens et dont les parents n’étaient plus rien, ils se sont construit une identité à travers les grands mythes qu’on a mis à leur disposition : le nationalisme algérien, la maison de l’Islam. Dans mon livre, je consacre une partie à l’association des «indigènes de la République» et ce qui est paradoxal c’est que ses membres tirent du mouvement national algérien leur droit d’être des Français différents. Ils revendiquent d’être français au nom du nationalisme algérien ! C’est donc un paradoxe. Moi aussi je suis à la recherche de mon identité. Je dirais que c’est une question universelle, que tout le monde se pose. C’est justement parce qu’à un moment donné on ne peut plus se la poser qu’on va chercher des certitudes dans des mouvements fascistes qui, eux, nous apportent des certitudes. Des mouvements religieux ou politiques. Vous remarquerez que le mouvement d’extrême droite a beaucoup recruté parmi les Pieds-Noirs, qui sont dans le même processus. Ainsi nous nous trouvons devant des pathologies d’identité. La question de l’identité en France est plombée par la question du racisme. D’où l’attitude de certains qui prennent la défense du voile pour répondre au racisme.
Khadîdja Baba-Ahmed : Et justement, comment régler ce paradoxe ?
Wassyla Tamzali : Il faut que ces femmes et ces hommes prennent leur responsabilité. Lorsque l’on est contre le voile, il faut l’être vraiment tout en prenant ses distances avec le racisme, et dire bien haut qu’il ne s’agit pas de la marque d’une religion mais que le voile est le marqueur d’un refus de la culture dominant en France. Et surtout en convaincre les musulmans qui font fausse route en toute bonne conscience. Mais qui peut lever l’amalgame dont vous parliez vis-à-vis des musulmans ? Ce n’est ni vous ni moi, parce que nous sommes catégorisées comme des laïcs et ceux qui nous écoutent nous disent : «Oui, mais vous êtes différentes.» C’est donc à ceux et celles qui se rattachent à la pratique et à la croyance religieuse, qui en font leur définition principale, d’en parler. La question que je pose aujourd’hui est la suivante : peut-on être musulman, s’affirmer comme tel et en même temps affirmer une conscience moderne qui rejetterait certaines pratiques de l’islam, incompatibles, même quand elles sont contenues dans l’islam ? C’est là que se situe la question centrale qui pourrait contribuer à nous faire sortir de la crise actuelle. En sortir, c’est faire ce bond que la religion chrétienne a fait et qui a donné naissance aux chrétiens de gauche, au protestantisme, à la réforme de l’intérieur de la religion et qui a abouti à la réforme de l’église catholique. C’est ce débat-là qu’il faut avoir aujourd’hui.
Khadîdja Baba-Ahmed : A propos de la laïcité, vous dites, entre autres : «Elle seule peut renverser les rapports d’oppression dont souffrent les femmes et les hommes dans les sociétés musulmanes : seule la laïcité peut conduire à l’émergence d’une conscience moderne musulmane.» Vous nous avez expliqué précédemment ce que renferme pour vous cette notion de conscience moderne musulmane, la question est de savoir par qui pourrait être porté ce combat dans les sociétés musulmanes sachant que dans leur grande majorité, les pouvoirs en place ont pactisé avec les islamistes pour se maintenir au pouvoir ; qu’ils ont muselé toute voix se réclamant de la laïcité, prononcer le terme laïc étant même devenu un tabou, un interdit.
Lorsque l’on parle de laïcité, il faut que l’on s’entende sur ce qu’on met dans ce concept. La laïcité n’est pas la séparation de l’église et de l’Etat. C’est d’abord la défense et la protection de la liberté de conscience. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’islamistes qui se disent laïcs, qui profitent de la laïcité et de la démocratie française pour revendiquer leur différence mais lorsque vous les interrogez, ils sont contre la liberté de conscience ; ils sont contre la démocratie et sont aussi contre la différence à l’intérieur de leur communauté. Dans nos pays, la condition des femmes ne changera pas tant qu’il n’y a pas de liberté de conscience. L’alliance pouvoir/islamistes que vous évoquez est une réalité et qui s’est faite sur le dos des femmes et de la société. Les pays arabes resteront dans la décadence qu’ils connaissent aujourd’hui avec les manques dramatiques et pas seulement au niveau des libertés et de la démocratie, mais aussi au niveau du savoir, tant que cette liberté de conscience n’est pas encore acquise. Il y a heureusement des espaces qui continuent à survivre dans des situations difficiles : des penseurs, des philosophes, des artistes, des femmes peintres, écrivains, poètes qui échappent à la fermeture par la fiction, par la création. Ceci est très important pour notre imaginaire. Ces artistes révèlent notre condition, plus que les sociologues. Je pense que si le religieux, la sacralisation font leur retour en Occident comme Malraux l’avait prédit, le rendez-vous en ce siècle pour le monde arabe est la sortie de la religion. C’est inévitable. Une sortie douloureuse. Rien n’arrête l’aventure de l’homme vers la liberté. Les Algériens le savent mieux que n’importe quel autre peuple.
K. B.-A.
 
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