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  Crise à Ghardaïa ou crise du modèle d’État algérien ?
 

Crise à Ghardaïa ou crise du modèle d’État algérien ?

Par le professeur Abderrezak Dourari

Nous avons déjà écrit en 2003 que l’Etat devenait de plus en plus la propriété d’un petit groupe qui s’arrogeait des pouvoirs démesurés et qui, sans en être nécessairement conscients en raison de la culture régnante en philosophie politique, installeront un Etat néo-patrimonial. C’est un constat qui partait du fait que tous les contrepouvoirs, y compris la justice, le Parlement et les partis d’opposition étaient soumis à des actes de réduction et de destruction prémédités au profit d’un régime qui, à travers la surpuissance constitutionnelle d’un homme, estimait être le propriétaire des hommes et des biens. Le tableau fut couronné par la cavalière révision constitutionnelle de 2008 soutenue honteusement par certains partis se disant nationalistes.

Il est vrai que, selon nos gouvernants, on devrait laisser les problèmes de la société et de la politique à eux seuls, dont le savoir infus leur viendrait de l’omniscient, comme les prophètes, ou aux sciences exactes. Les sciences sociales n’en sont pas, soutiennent-ils faute de contradicteur, comme si eux n’étaient pas à blâmer pour cela car ils excelleraient dans les unes et les autres !

On n’aurait pas dû par conséquent avoir cette triste situation d’affrontements entre Algériens, car ce sont eux qui sont à la barre et sont donc censés (et sensés) nous protéger aussi de la main étrangère invoquée comme cause de leurs échecs ! Ensuite, à défaut de leur omniscience infuse, n’auraient-ils pas dû convoquer les mathématiciens, les physiciens ou chimistes pour trouver la solution des problèmes sociétaux de l’Algérie comme l’incurie et l’incompétence des pouvoirs publics, la corruption systématisée, la violence diffuse dans notre société, l’impunité absolue des puissants et, cela va de soit, plus prosaïquement le règlement du problème de Ghardaïa, de la Kabylie, des Touareg, des Chaouia ou autres conflits entre tribus et aârchs, et le chômage endémique des concitoyens du Sud et du Nord…, conflits récurrents depuis des lustres sous le pouvoir d’une lignée de gouvernants omnipotents tirée de la même crémerie depuis l’indépendance. Passons.

A Ghardaïa coexistent deux communautés algériennes musulmanes différenciées par le rite, l’origine et la langue. La communauté chaâmbi est d’origine arabe et est majoritairement malikite. Elle parle l’arabe algérien. La communauté mozabite est d’origine amazighe, de rite ibadite et parle autant sa langue mozabite (tamazight) que l’arabe algérien - langue commune à tous les Algériens et par extension, comme nous l’avons souvent souligné, à tous les Maghrébins. Nous avons même insisté sur le fait que cette langue commune était constituée d’un mélange d’arabe hilalien, de tamazight et même de punique qui fut longtemps intensivement pratiqué en Afrique du Nord ancienne… Voilà une langue véritablement nationale !

Les Hilaliens (Zoghba, Atbedj, Riyah, Rebia, Adi et Djocheym) sont connus pour être arrivés au Maghreb au XIe siècle du temps des Zirides. Avant cela, les Amazighs Ketama, dirigés par Abu Abdellah ayant fait libérer Obaïd Allah — celui qui sera le mahdi chiite fondateur arabe de la dynastie fatimide —, de la prison de SidJilmassa, conquirent l’Egypte (en 973) où ils établirent la capitale fatimide au Caire. La gestion des affaires fatimides au Maghreb avait été laissée au lieutenant Bologhin bnu Ziri (les Zirides) qui finirent par le renier et prêter allégeance au calife abbasside sunnite. Les cousins zirides et hammadites étaient en conflit, et ceci avait permis aux Banü Hilal d’entrer et de s’installer au Maghreb en 1051… Cependant que les Amazighs mozabites étaient déjà là depuis la nuit des temps, puisque des peintures rupestres attestent d’une présence humaine continue dans cette zone aussi loin que la préhistoire, mais, doit-on pour autant essentialiser des différences d’origine ethniques, religieuses et linguistiques pour des populations qui ont vécu finalement plus de dix siècles (1000 ans) côte à côte ou ensemble ? L’Amazigh et l’Arabe sont-ils restés chacun identique à lui-même (comme des momies) à travers les siècles, en dépit des interactions humaines et des vicissitudes de l’histoire ? Pourtant, les Chaâmba comme les Mozabites doivent présenter un passeport algérien pour sortir du territoire national et pour effectuer le rite commun du hadj en Arabie Saoudite, lieu d’origine des Hilaliens !

Les Arabes chaâmba malikites sont, par conséquent, aussi algériens que les Amazighs mozabites ibadites, mais certainement pas plus.

Ces deux communautés vivent côte à côte et ont entretenu, comme d’autres communautés à travers le monde, des échanges transactionnels et conflictuels. Ces conflits étaient relativement rares et trouvaient vite un cadre de résolution dans les structures traditionnelles mozabites, arabes laïques ou religieuses. Il ne faut surtout pas oublier que cette région avait aussi hébergé une communauté juive qui y a vécu longtemps sans heurts avant son expulsion par les Almohades. La cité de Tihert, capitale des Rostomides (Ibadites) était brillante, avant son écrasement par les Fatimides (Obaïd Allah) qui ont tout aussi bien tenté d’écraser l’ibadisme ; elle était, peut-être même, plus brillante que Baghdad, Damas et d’autres grandes cités orientales. Ce sont ces Rostomides qui ont fait l’essentiel de l’islamisation de l’Algérie, ne l’oublions pas. La persistance jusqu’en 2014 de la question religieuse (terrorisme, débat sur les fêtes de fin d’année civile, des codes civil et pénal, du statut de la femme, de l’héritage, de l’adoption, de tamazight, des conflits entre Algériens mozabites et Algériens arabes, entre Touareg algériens et Arabes algériens du Sud, entre aârchs à l’ouest et à l’est du pays, entre chrétiens et musulmans) montre bien que le système de production historique de société (le cadre idéologique, la doxa) et le modèle d’Etat imposé par les régimes autistes depuis le coup d’Etat (l’assassinat de Abane Ramdane) contre le concept même d’Etat moderne préconisé par la Plateforme de la Soummam (assis sur des institutions indépendantes organisant la cohabitation citoyenne entre communautés non seulement algériennes autochtones différentes mais aussi de communautés d’origine européennes tout aussi égales en droit) ; cette persistance donc montre que ce modèle d’Etat, crisogène et parfaitement inadapté à la société algérienne différenciée, est à revoir en urgence sur ses fondements idéologiques.

Comment imaginer que les Amazighophones se sentent toujours chez eux dans cet Etat tout en ne leur reconnaissant ni leur langue ni leur culture ? Comment imaginer que des Mozabites ibadites se sentent vraiment chez eux tout en refusant de reconnaitre leur rite musulman ibadite et en leur imposant à l’école et dans tous les médias du pouvoir, le rite malikite (en fait le wahhabisme), comme doctrine de référence de l’Etat?

Comment voulez-vous que les Ibadites acceptent que leur Etat leur impose et à toute la société une lecture fausse de l’histoire de leur rite en le déclarant khâridjite alors qu’il ne l’est pas… Rappelons que le kharidjisme est un schisme dans le chiisme. C’est une posture politique de partisans d’Ali Ibn Abi Taleb qui n’ont pas cautionné le fameux arbitrage entre le calife Ali en poste et Muâwiyya Ibn Abi Soufiane, contestataire, qui lui déroba le pouvoir par une ruse grossière ! C’est après la guerre de Siffin et de Nahrawayn qu’il se constitua en courant politique revendiquant «al hâkimiyya li llah». L’ibadisme s’est constitué avant cette fitna sur un fondement politique différent : la désignation du guide de la communauté sur la base de sa compétence et sa droiture reconnue compte non tenu de sa race, de sa langue ou de son origine.

Nous venons d’avancer que le rite malikite est complètement marginalisé par le wahhabisme soutenu par les pétrodollars de l’Arabie Saoudite et du Qatar… Mais l’Ibadisme est différent du sunnisme, du chiisme et du kharidjisme, en dépit des imprécations de l’idéologie sunnite hégémonique qui invoque de faux hadiths pour justifier la haine contre lui alors qu’il est né 50 ans après la mort de Mohammed Bnu Abdellah. Le plus étonnant est que ces clivages d’antan entre qorayshites sont réactualisés périodiquement comme s’ils dataient d’hier. Le premier fondateur de l’ibadisme, le cheikh Jabir bnu Zayd al-Azdi, est réputé avoir été le meilleur élève de Aïcha et d’Ibn Abbas le cousin du Prophète.

Il s’était installé au début à Zanzibar — colonie omanaise jusqu’en 1964. Ce n’est que plus tard qu’Abdullah Bnu Ibâdh at-Tamîmî prit le relais. Ce fut Ibn Rostom l’Iranien qui amena l’ibadisme d’Oman vers le Maghreb (au VIIIe siècle) et construit une civilisation rayonnante à Tihert qui dura jusqu’en 909 quand le Fatimide Obaid Allah l’écrasa, toujours appuyé sur les Sanhadja. Les ibadites de Tihert fuyaient vers Ouargla à Oued Mya et fondèrent la ville de Sedrata, puis allèrent vers Oued M’zab où vivaient déjà les tribus amazighes Nefzaoua. L’Etat rostomide (ibadite) est toujours considéré par les historiens comme le précurseur de l’Etat algérien moderne. Ces Amazighs Zenata ainsi que les Ouacilites fondèrent, conduit par Abdellah Ibn Ibâdh, al-Attaf en 1017, puis Bounoura en 1057, Melika et Ghardaïa en 1097, Beni Izguen au XIVe siècle et enfin Berriane et Guerrara au XVIIe siècle.

Des tribus d’origine arabe vivent dans cette zone comme les Ouled Yahia à Berriane, les Chaâmba à Metlili et les Medhabihs à Ghardaïa invitées par les Ouled Ami Aïssa…. Enfin, plus récemment, Ghardaïa a été la seule wilaya où le FIS n’a pris aucune commune !

Des conflits ont eu lieu entre les Arabes Banû Sulaym à Ghardaïa en 2002, en 2004, en 2006 et en 2013…Qu’a fait l’Etat algérien ? Ce bref survol de l’histoire nous montre bien que sans l’idéologie globalisante négatrice de l’histoire et de la réalité sociétale algérienne (l’arabo-islamisme à l’emporte-pièce) qui a dominé l’Etat algérien, il n’y aurait eu ni le FIS et son terrorisme, ni le phénomène des harraga, ni les torches humaines, ni le suicide moins spectaculaire, ni le problème de Kabylie et encore moins ces conflits entre communautés algériennes qui ne sont que le résultat d’une longue formation historique.

Subséquemment, il est nécessaire de dénoncer cette attitude consistant à essentialiser, par-delà l’histoire, des conflits (n’est-ce pas pour les garder intactes à l’utilisation politicienne autour de question d’aujourd’hui), et des schismes anciens qui remontent au VIIIe siècle de l’ère chrétienne (IIe siècle de l’Hégire). En quoi nous concernent-ils, nous Algériens du XXIe siècle ?! Comment vouloir imposer aux Algériens du XXIe siècle de se ranger en forces ennemies opposées et haineuses sur la base des positions politiques de Mu’awiyya bnu Abi Soufiane (fondateur du sunnisme) ou de Ali Bnu Abi Talib (chiisme) ou des Kharidjite ? C’est anachronique, mais cette opposition, on le constate, est entretenue ! Comprendre ici que notre système éducatif, véritable pilier pour l’édification d’un Etat et d’une société moderne et tolérante, ne travaille pas du tout sur les mentalités de la société pour les faire évoluer par le débat et la science mais s’attelle à inculquer des choix idéologiques hypostasiés qui correspondent un tant soit peu aux intérêts conjoncturels des pouvoirs. Il perpétue (réifie) donc des conflits et des attitudes mentales haineuses qui ont été celles de générations antiques la plupart du temps ayant eu pour site un autre territoire que l’Algérie. L’Etat est de toute façon une construction artificielle abstraite qui ne prend sa consistance que dans les actes visibles de ses institutions et de ses agents.

Mais quand cet Etat est construit foncièrement sur un mythe portant en son sein la négation des dimensions historique, culturelle, anthropologique et linguistique réelles constitutives de l’ensemble de sa population et son territoire, et que ses gestionnaires illégitimes ne réagissent qu’après coup et en cas de dysfonctionnement trop bruyant (coupure de routes, émeutes violentes, affrontements ethniques, terrorisme, inondations, kidnapping…) par la seule répression, oppression, corruption sans se soumettre à aucune reddition de compte, il secrète nécessairement une opposition frontale entre l’intérêt de sa population (la volonté populaire) et celui des gouvernants (gestionnaires de l’Etat)… L’individu et les groupes ne s’en remettent plus aux institutions d’un Etat mais se font justice eux-mêmes (la guerre des gangs à Alger et dans les grandes cités algériennes) inaugurant ce que Hobbes avait appelé la guerre de tous contre tous (Bellum omnium contra omnes). Plus grave, le travail des gouvernants algériens le plus couronné de succès a été, depuis l’indépendance précisément, de multiplier les émiettements politiques et sociétaux pour éviter une éventuelle union contre eux. Cette conception politique décharnée de l’Etat, inspirée par l’aile dominante du PPA-MTLD, avait pourtant déjà créé une crise grave au sein de ce principal parti révolutionnaire en 1949 : affrontement entre partisans de l’Algérie algérienne et l’Algérie arabe. Cette conception, poursuivie hargneusement après l’indépendance, a été aussi à la source de toutes les crises de Kabylie, toutes les crises culturelles nationales y compris éducationnelle et religieuses avec l’apparition de l’islamisme violent et destructeur. Maintenant, on assiste à un véritable effilement de la trame du tissu social algérien et de la communauté politique censée réunir des citoyens différenciés sous l’égide et la protection forte d’un Etat légitime au service de tous et de chacun.

La réforme de l’Etat algérien est urgente, elle consiste essentiellement à mettre en place des institutions respectables et respectées par tous et surtout par les gouvernants, une séparation réelle des pouvoirs avec une autorité judiciaire mise au-dessus de tous et surtout des gouvernants, et en fin un pouvoir législatif légitime qui contrôle le pouvoir exécutif dans le respect des intérêts des citoyens. Une véritable citoyenneté signifie que les différences ethniques, religieuses, linguistiques, culturelles… que les libertés individuelles et collectives soient respectées et opposées à tous par des institutions soumises à la seule règle du droit. Cela signifie que personne ni aucune organisation ou institution n’a droit de contrôle sur les consciences des citoyens. Seules les règles du vivre-ensemble dans un Etat et un territoire communs dans le respect des intérêts de tous et de chacun sont obligatoires pour tous. Celui qui voudrait s’assurer le paradis, grand bien lui fasse, il n’est cependant aucunement le tuteur des autres. C’est de cette idée d’Etat que doit s’inspirer la réforme urgente du système éducatif. Cela signifie concrètement que chaque citoyen algérien est libre d’avoir les représentations identitaires dont il a envie (celui qui se perçoit Arabe ou Amazigh ou autre, musulman sunnite, ibadite, chiite, ismaélite, ou chrétien catholique ou orthodoxe ou protestant, juif, ou athée…) pour peu qu’il développe ses compétences et respecte la liberté et les représentations des autres, car, après tout, personne ne peut par sa piété ou son athéisme emmener d’autres au paradis ou en enfer. Mais le territoire et l’économie, on ne peut pas ne pas les partager… C’est le domaine du droit positif. Partageons-les intelligemment. Mais seul un Etat démocratique garantissant la citoyenneté en est capable.

L’identité en Algérie ne doit reposer que sur l’appartenance au territoire algérien (algérianité). Les couches «géologiques» identitaires sélectionnées et essentialisées (amazighité, arabité et islamité) renforcent un identitarisme aberrant en ce XXIe siècle, car pourquoi ne pas ajouter la judaïté, la chrétienté, le paganisme, puis la punicité, la romanité, la francité… ! Proposer des solutions pour Ghardaïa, c’est reconnaître officiellement leurs représentations identitaires et leur pleine citoyenneté.

A. D.

 
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