Par Fewzi Benhabib *
Pour comprendre l’évolution de la situation, il faudrait analyser les évènements en tenant compte de la stratégie du pouvoir à la veille des échéances présidentielles et du contexte du monde arabe marqué par une irruption fulgurante des peuples sur la scène politique. Mais déjà remontons à la genèse de cette Coordination.
Rappelons-nous que le FFS n’a pas été à l’initiative de la marche du 21 janvier. Celui-ci prend donc le train en marche et rejoint la CNCD. Ce fait explique pour une grande part les turbulences de la Coordination. Fortement diminué face aux initiateurs du mouvement de masse, le FFS ne peut pas prétendre à un rôle de premier plan. Il décide alors de claquer la porte de la CNCD. Mais il s’appuiera sur les associations restées dans la Coordination et acquises à sa cause pour tenter de saborder la CNCD de l’intérieur et la faire voler en éclats. Cette tactique politicienne des deux fers au feu a un double but : discréditer la CNCD et miner sa cohésion en exacerbant ses divergences, d’autre part de l’étouffer en faisant diversion à son combat. Aujourd’hui, une chorégraphie parfaitement huilée et mûrement réfléchie dans les bureaux feutrés du pouvoir s’est mise en place à Alger. Le pouvoir, face au mur, a décidé de réactiver l’axe de Sant’Egidio pour tenter de dégonfler la protesta. C’est pourquoi, nous avons assisté ces derniers jours à Alger à un ballet de mauvais goût où manœuvrent de façon concertée Mehri, Hamrouche et Aït Ahmed. Il est évident que ces vieux chevaux de retour n’ont pas pour but de sortir le pays de la crise mais de sauver le système. Hier, ils avaient volé au secours du FIS en signant les accords de Sant’Egidio à Rome. Aujourd’hui, ils s’érigent en sauveurs d’un pouvoir aux abois. Il ne sera pas étonnant que d’autres voix, celles des islamistes notamment, se rallieront à ce chant de sirènes. Comme en 1992, Aït Ahmed bascule par opportunisme dans le camp des forces les plus réactionnaires pour tenter de casser la dynamique du mouvement de masse et porter un coup à la construction du pôle démocratique. En vain ! la CNCD est debout et elle a déjà réussi à se faire entendre, sinon comment expliquer l’interdiction des marches et l’extraordinaire armada policière lors des rassemblements à un moment où le pouvoir a embouché la trompette de la levée de l’état d’urgence. Quel poids cette Coordination composée des partis politiques a-t-elle pour faire entendre sa voix, ses messages ? N’est-elle pas en décalage par rapport à la rue puisque, apparemment, celle-ci ne bouge pas ? Comment un fleuve peut-il couler et suivre son cours normalement si on y dresse des barrages partout ? Comment la rue peut-elle s’exprimer quand tout est verrouillé et l’Algérie quadrillée ? Quand les accès à la ville sont fermés, les trains sont immobilisés, paralysés et les vols intérieurs annulés pour empêcher tout déplacement vers la capitale, et toute rencontre entre les contestataires. Mais rien ne dit qu’un jour, la digue ne cède !! Mais il n’y a pas que la chape de plomb interne, il y a aussi des complaisances, voire des complicités extérieures. Cette Coordination a peu de moyens parce que les partis démocratiques sont encore faibles. Le multipartisme n’est que de façade et l’opposition est cooptée. Cette pseudo-opposition n’est là que pour conforter la vitrine «démocratique» dont a bien besoin le système pour prétendre au label de la démocratie. Celui-ci a barré la route à toute émergence démocratique en interdisant toute vie démocratique réelle. L’Occident est aussi responsable de ce désert démocratique. En soutenant les dictatures et en armant la main des dictateurs contre les peuples, l’Occident a contribué à inhiber le mouvement de masse car les Ben Ali, les Moubarak et bien d’autres n’étaient au bout du compte que des géants aux pieds d’argile.
Quelles différences entre l’Algérie d’une part, la Tunisie et l’Égypte, d’autre part ?
C’est vrai que nous appartenons au même monde arabe et, de ce fait, il y a une certaine résonance dans les combats qui y sont menés mais il y a aussi des différences. Première différence : une première expérience démocratique avortée. Les mutations, la révolution que connaît le monde arabe aujourd’hui, l’Algérie les a connues dans une certaine mesure en octobre 1988. Il y a eu quelques résultats positifs : de nouveaux partis, quelques titres de journaux plus libres. Mais, malheureusement, le pouvoir a fait fi de la Constitution qui interdisait la création de partis à base religieuse ou ethnique et a légalisé un parti fasciste : le FIS. La société a payé très cher ce crime politique : la scène politique s’est transformée en champ de bataille et l’Algérie en vaste territoire de guerre. La première expérience démocratique a avorté et s’est complètement dévoyée dans un système dictatorial et maffieux. Deuxième différence : la société algérienne a fait l’expérience de l’islamisme politique. La société algérienne a fait l’expérience de l’islamisme politique dans les larmes et le sang. Le nombre de victimes est très élevé et le terrorisme islamiste s’est révélé dans sa plus grande cruauté (femmes enceintes éventrées, bébés fracassés, villages entiers décimés, artistes et hommes de culture assassinés). Au lieu de traduire les responsables du terrorisme islamiste devant les tribunaux, Bouteflika les a graciés dans le simulacre de la «concorde civile» et la «réconciliation nationale». Troisième différence : une rente extraordinaire. L’Algérie dispose d’une rente pétrolière qui lui a permis d’endiguer jusqu’à présent la colère du peuple. A chaque émeute, le pouvoir lui a jeté des miettes et a acheté la paix sociale en saupoudrant les revenus de la rente sur toutes les couches de la société. La rente joue un rôle politique central dans le système. Elle en constitue la clef de voûte. En effet, il suffit d’étudier l’évolution du budget du ministère des Anciens moudjahidine par exemple pour le comprendre. Ce budget est non seulement très important par rapport à des ministères stratégiques comme le ministère de l’Education nationale par exemple mais il grossit… au cours du temps !!?? L’Algérie, par sa rente, est beaucoup moins vulnérable aux pressions de l’Europe et des Etats-Unis tandis que la Tunisie et l’Égypte en dépendent très largement.
Que penser de ces révoltes ? Ces révolutions ?
C’est un changement important ! L’Histoire retiendra ce mois mémorable de janvier 2011. Désormais, il y a un avant et un après janvier 2011. Cette date est une véritable fracture, une rupture parce que les peuples arabes sont venus par eux-mêmes à l’idée de liberté et de démocratie. Ceux qui ont voulu, comme Bush, exporter la démocratie en faisant entendre leur bruit de bottes et leurs bombes aux peuples arabes en ont pour leur grade. Les Arabes ont rompu seuls les liens qui les entravaient et ont chassé les mains nues les dictateurs. Cette aspiration à la liberté est l’expression d’une volonté populaire sans précédent. Auparavant, l’on disait que la démocratie avait réussi à s’implanter en Asie, en Amérique latine mais que la «greffe» ne prendra jamais dans le monde arabe parce que leurs peuples sont vaccinés contre la… démocratie !! Des experts patentés s’aventuraient même à dire que les peuples arabes n’étaient pas mûrs pour adopter un système démocratique ou carrément qu’ils n’étaient pas éligibles à la démocratie. Janvier 2011 a apporté un démenti cinglant à toutes ces idées grotesques, voire racistes qui ont fait le lit du multiculturalisme. Aujourd’hui, la citoyenneté est une exigence et s’impose sur la scène politique. Mais attendons de voir comment les choses vont évoluer…
Pourquoi demander la fin d’un système alors que l’on peut le changer par une série de réformes ?
Un état est viable lorsqu’il offre des perspectives d’avenir à sa jeunesse. Or, aujourd’hui, la jeunesse n’a d’autre perspective que celle de jouer sa vie à la roulette russe en tentant de rejoindre la rive nord de la Méditerranée ou de mettre fin à ses jours en s’immolant par le feu. Cette situation est d’autant plus inacceptable que les caisses du Trésor regorgent de milliards de dollars. Ce naufrage est la signature de la faillite d’un système qui même en disposant de la manne pétrolière ne réussit pas à jeter les bases d’une économie viable, créatrice d’emplois et offrant un avenir à ses forces vives. Non seulement, un tel système est un cul-de-sac à la société mais, le comble est qu’il jette en prison y compris ceux qui tentent par leurs propres moyens, comme les harraga, de trouver des solutions à l’impasse où les a fourvoyés et plombés ce système. Il n’y a aucun sens à ravaler la façade d’un bâtiment vétuste dont les fondations sont branlantes. Il ne s’agit pas de réformer mais de refonder le système actuel en consacrant une nouvelle république, une nouvelle constitution, des institutions démocratiques, la mise en œuvre d’un Etat de droit laïque. Cela ne peut s’envisager que par une transition nationale démocratique avec de véritables démocrates.
Est-ce que le danger islamiste est réel ?
Des révoltes importantes se sont produites en Tunisie et en Égypte. En Algérie, le mouvement de contestation populaire d’octobre 1988 a été récupéré par le FIS. Qui aujourd’hui est en mesure de dire que demain la Tunisie sera un véritable Etat laïque et que des droits civils égalitaires hommes/femmes seront proclamés en Égypte. L’islamisme est en embuscade partout dans le monde arabe et peut tout remettre en question. Mais qu’est donc que l’islamisme si ce n’est un courant politique anti-démocratique, obscurantiste, raciste, sexiste, homophobe, qui porte tous les ingrédients du fascisme. Si l’Europe ne fait aucune place au fascisme, s’il n’y a pas droit de cité, il n’y a aucune raison pour qu’en Algérie, on s’en accommode et que soit banalisée l’extrême de l’extrême droite. On a vu le score qui a été infligé à l’extrême droite au second tour des présidentielles de 2002. La réaction de la société française a été salutaire. La mobilisation citoyenne a permis de faire barrage au Front national. Est-ce qu’un courant comme l’islamisme politique dont les mains sont tachées de sang peut avoir pignon sur rue, une quelconque reconnaissance, une légalité… en Algérie ? L’histoire de l’Europe est riche d’enseignements à ce sujet : un parti fasciste y a été reconnu, il est arrivé «démocratiquement » par les urnes, nous savons ce qu’il en a été par la suite… Une guerre mondiale, 50 millions de morts, le génocide des Juifs, etc. L’Histoire nous a démontré qu’on ne s’accommode pas du fascisme ! On ne négocie pas avec lui, on le combat !
F. B.
Responsable du PLD - Immigration.